Nous poussons la porte ouvrant sur le long couloir classé desservant les petites
serres de réserve. De multiples plantes pendent du plafond, donnant une allure
tropicale à ce coin de Paris.
“C’est là où mes mamies venaient vous promener
?” “Oui. Là poussent toutes les eurs que je voulais offrir à ta mère.” “Tu lui en
as offert beaucoup quand même !” “Oui, mais celles-ci, tu ne peux les voir
qu’ici, elles sont rares et presque disparues.”
Une symphonie de formes et de
couleurs, compositions invraisemblables orchestrées par la nature des quatre
continents, s'étalent devant nous.
“Allons aux orchidées, j’en avais empli la
chambre de ta mère quand tu es venue au monde.” “Je sais. Maman m’a
montré les photos. Elle m’a dit que c'est pour ça que je suis presque née dans
la jungle, comme Mowgli.”
La serre est à nous, les lianes offrent une géométrie
improbable. Ici, les pétales sont tigrées, tachetées, de formes diverses.
J’explique à Pimp’ que ce pétale est fait pour retenir l'eau, qu’un autre, rose en
forme de cocon, est fait pour qu’un bourdon y fasse la sieste. Elle rit à gorge
déployée. Me vient alors instinctivement à l’esprit que les personnes qui ont
décidées de la disparition de ce lieu ont la même rigueur dont j’ai fait preuve
pour faire n’importe quoi avec les plus belles choses qui m’ont entouré.
La musique d’un jardinier mélomane nous ramène à la réalité. Le lieu parait
pourtant désert. Pimp’ s’engouffre au milieu des fougères repues d’amour qui
étalent leur bien-être. Une véritable jungle dans laquelle nous nous attendons à
voir une nuée de perroquets s'envoler devant nous. Maintenant les bégonias !
Nous nous éberluons tous deux devant ces nes branches aux eurs jaunes, et
celle du hemsleyana quasi disparu.
“Elle est marrante celle-là, avec les poils.”
Le bremivirosa à l'aspect caïman noir et violet me rappelle une robe Alaïa que
Pimp’ avait voulu emprunter à sa mère. Pimp’ me fait ouvrir une petite armoire
de verre où un bégonia, n comme du corail jaune, lui fait dire :
“C’est comme
dans un rêve."
Son émerveillement ne m’est pas inconnu.
Le jardinier mélomane, jusqu'ici invisible, nous prévient qu'il doit fermer. Juste
le temps de faire voir à Pimp’ la eur d’ananas. Important pour elle, sa copine
s’appelant Hanna-Anne, qu’elle dit “ananas”.
Départ pour la cuisine.
“Tu me fais quoi comme gâteau ?”, “Un bonheur aux
mille couleurs. Depuis tout petit, avec ta mère, nous avons constitué un herbier
avec toutes les plus jolies eurs rencontrées aux serres. Quand on l’ouvre, des
arcs-en-ciel se mettent à danser. Tu vas piocher dedans et on les trempera dans
le caramel. Les eurs se colleront les unes aux autres.” “On pourra mettre de la
guimauve aussi ?”, "Oui."
Sitôt arrivés, l’herbier est ouvert. Avec ses petits
doigts, Pimp’ en extrait délicatement les plus jolis. Un peu de deliciosa pour
le goût, un pétale de cents eurs différentes, quelques pistils aux noms
improbables ou inconnus. A l’aide d’un pinceau, chacun est recouvert de sa
juste couche de caramel. Un étage de eur, un étage de guimauve, nous
répétons l’exercice.
“Pouf, c’est ni.” “On peut en faire un autre pour maman
?” “On n’a plus assez de eurs !”
Pimp’ remet son manteau :
“On va en
rechercher ?”
Nous voilà repartis.